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Petites calomnies entre amis
Petites calomnies entre amis
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10 janvier 2012

Chers amis, je sais. Je sais que vous attendiez

Chers amis, je sais. Je sais que vous attendiez tous l'épisode « vis ma vie de vendeuse en librairie », et que je vous ai déçus. Maaais... j'ai été débordée. Je veux dire, quand on travaille toute la journée et notamment le samedi, on n'a mathématiquement plus le temps d'aller faire du shopping et physiquement plus la force de faire autre chose que de se trainer sur le canapé, manger et zapper. Alors je veux bien que j'aie eu mon dimanche mais j'avais juste envie de ne rien faire.

Mon travail, donc, pour lequel j'ai eu précisément trois heures et demi de formation (le responsable du rayon n'ayant été là qu'une journée, journée où il n'avait pas les mêmes horaires que moi). En gros, je suis derrière une borne avec un ordinateur et j'attends le chaland. Quand le chaland arrive, je renseigne géographiquement, je cherche des livres, je conseille littérature jeunesse. Et je récupère les arrivages, arrange et range les rayons. Occasionnellement, je désétiquette des bandes-dessinées à cause de la TVA qui a changé (et augmenté), pour aider -et me faire bien voir de- mon collègue de BD. Parfois, je m'ennuie. Je ne dis pas que ce que je fais est très facile : le conseil est une très grosse partie du métier de vendeur et un moment crucial -sois bon et le client repartira avec un livre, voire plusieurs, sois mauvais et le client repartira les mains vides. Mais je ne fais pas les parties les plus complexes : les commandes et les retours. Pour ça, pour faire les commandes -nouveautés et réassort- et pour faire les retours -renvoyer les livres qui se vendent mal à l'éditeur-, il faut avoir une idée très précise du marché du livre. La commande de nouveautés se fait selon la demande supposée ou constatée (par exemple, on m'a demandé plusieurs fois des histoires de danseuses, donc si j'étais libraire, moi, j'en commanderais), le réassort selon les bonnes ventes d'un livre et le retour selon les mauvaises ventes d'un livre. Cela demande de connaître parfaitement l'état d'esprit de sa clientèle, l'état de son stock et la vitesse à laquelle il s'écoule. Ça, moi, je fais pas.

Ce que je trouve le plus compliqué, parmi tout ce que je fais, paraît sans doute tout bête : rechercher un livre dans mon rayon. Je connais plutôt bien mon rayon, car je l'ai parcouru un grand nombre de fois et que j'ai déjà cherché un grand nombre de livres à l'intérieur. Parfois, pourtant, il m'arrive de ne pas trouver un livre qui y est. Parce que ce rayon n'est pas régi par une logique, mais par des logiques multiples. Dans une bibliothèque, il y a des thèmes, l'ordre alphabétique, et même des cotes au besoin. Dans mon rayon, c'est le far west. Il y a bien sûr les thèmes et l'ordre alphabétique, mais il y a aussi les éditeurs, les collections, les séries, le format, les nouveautés, les grosses sorties, les sous-thèmes, le public visé. Pan, qui travaille dans une librairie jeunesse, me disait qu'il ne comprenait pas le classement de la librairie jaune. Moi, je le comprends de mieux en mieux, mais il me réserve tous les jours de nouvelles surprises ! Et je m'affaire, je cherche, je passe en revue tous les titres, pendant que le client attend ou cherche avec moi, ce qui est tout aussi stressant. Souvent, ayant tout fait, ou du moins en ayant l'impression, je suis obligée d'abandonner et je dis au client, à tort ou à raison, que l'ordinateur s'est sans doute trompé et qu'on ne possède plus ce titre. Généralement, je le retrouve peu après.

L'organisation du rayon me pose aussi d'intenses questions existentielles quand il me faut ranger l'arrivage. Que mettre en table centrale, en présentation sur les petites tables, au milieu des autres livres, au milieu de quels autres livres, et si je mets quelque chose en présentation, qu'est-ce que j'enlève qui s'y trouve déjà et pour le mettre où ? Je crois que quand le vrai responsable du rayon va revenir, il sera horrifié.

Autre difficulté, le conseil. « Bonjour, je cherche un livre pour un garçon de 8 ans. » « Vous savez quel genre de livre ? » « Non. » Et là, il ne te reste plus qu'à vanter les mérites des nouveautés, des albums, des documentaires, des romans... en gardant à l'esprit « répondre aux attentes du client et faire vendre la librairie ». Soyons franche : je vante les mérites de livre que, la plupart du temps, je ne connais absolument pas. Je les prends parce qu'ils ont l'air sympa, je les feuillette, et je blablate selon ce que je vois. Ex : je vais au rayon dinosaure, je prend un gros livre, je l'ouvre devant le client et je commente : « S'il aime les dinosaures, celui-là peut lui plaire : vous voyez, c'est ludique, les images sont en pop up, le graphisme est sympa, c'est écrit gros et les textes sont intelligents. C'est une bonne introduction aux dinosaures qui reste scientifique sans sombrer dans le rébarbatif. » Vient alors la question qui tue : « Et c'est de son âge ? » Trois réponses possibles : si tu penses que oui « Il correspond tout à fait au public visé », si tu penses que non mais que ça peut passer « Oh ! Mais ça peut plaire à tout âge ! », si tu as réalisé en ouvrant le livre que non, ça n'allait pas le faire du tout : « Il est vrai qu'à mon avis, ce livre vise plutôt un public plus jeune/plus vieux. » Mais la vérité, c'est que la plupart du temps, je n'en sais rien. C'est la question favorite des gens : « Ce livre, c'est pour quel âge ? » Comme si j'avais dans les yeux un détecteur d'âge visé pour tous les livres qu'on me présente. En fait, soit je cherche sur mon ordinateur et je ne fais pas du tout professionnelle, soit j'invente un peu en faisant appel à ma jugeote. Il va sans dire que je recours systématiquement à la seconde solution. Je me suis sûrement trompée plusieurs fois mais dans l'ensemble, je pense taper plutôt juste. Je précise que pour tout cela, pour la vente en somme, je n'ai pas eu la moindre formation. Je suis une self made woman. Et en attendant de savoir vraiment de quoi je parle, je bluffe. Ça marche assez peu : j'arrive rarement à vendre un livre que j'ai conseillé. Souvent, les clients ont l'air convaincus, et il suffit que je tourne le dos pour qu'ils le remettent en rayon. Vous savez que j'aime culpabiliser : eh bien, je me suis trouvé une nouvelle raison de le faire.

Voilà pour mon travail. Mais il y a aussi les à côté de mon travail qui, quantitativement, sont les plus importants. Étant située à l'entrée (j'adore ça, les courants d'air toute la journée), je fais office de panneau indicateur. Il y a beau en avoir déjà, des panneaux indicateurs, les gens préfèrent -c'est compréhensible car je suis mignonne et je souris volontiers quand on me parle- s'adresser à moi. Il y a des choses que je répète à longueur de journée. Pour faire simple, il faudrait que je porte un tee-shirt avec écrit devant « Je ne suis pas la caisse » et derrière « La papeterie est au deuxième étage ». Quoi que je ne sais pas si ce serait très efficace étant donné que je porte déjà un badge « stagiaire » et que les gens s'adressent tout de même à moi comme si j'avais quinze ans d'expérience dans le métier.

Parlons des clients, puisque nous y sommes. Les clients sont gentils. Je ne dis pas qu'il n'y en a pas des froids, des prétentieux (genre je te demande des conseils mais je suis moi-même une spécialiste et rien de ce que tu me conseilles ne trouve grâce à mes yeux experts), difficiles à comprendre (pas plus tard qu'hier : « Bonchour, je vdrais un lire pour fisse de lcteur sur psonnes assées », un fois qu'elle m'ait écrit sur un papier « fiche de lecture » et « personnes âgées », ce qui m'a aidée à comprendre ce qu'elle disait mais pas vraiment ce qu'elle voulait exactement, je l'ai envoyée à ma collègue de littérature, en lui souhaitant intérieurement bon courage) mais des méchants, non. En une semaine de stage, je ne me suis pas faite une seule fois engueulée ou insultée (ce qui était fréquent quand je travaillais à la caisse d'un supermarché). Et pourtant, on aurait des raisons de me disputer entre ma lenteur à trouver un ouvrage, ma méconnaissance des livres et mes erreurs régulières dans mes renseignements géographiques ou livresques.

Je reçois aussi régulièrement des clients particuliers. Des gens que je connais. Jusque là, sont venus me voir Hermès, Apollon et Déesse Vio (ex-Tata Viovio, qui a voulu changer, je ne sais pas pourquoi). Après le tour de rayon de circonstance, j'ai réussi à faire acheter un livre à Déesse Vio et trois livres à Apollon (mais que j'ai payés de ma poche). Ce qui m'embête, quand des gens viennent me voir, c'est que c'est toujours le moment que choisissent les autres clients pour me demander plein de trucs. Et comme j'ai une éthique, je ne peux pas leur répondre : « Eh, vous permettez que je cause avec mes copains ou quoi ? » J'ai aussi vu, mais sans les avoir invitées, Fleur et Fraise. Fleur, c'était drôle, parce qu'elle venait vraiment me demander un renseignement. Sur un livre qu'on n'avait plus, malheureusement, et qui était même en arrêt de commercialisation. Mais je ne sais pas si, quand elle m'a vue, de dos, en train de trafiquer un présentoir du fameux ourson marron foncé, elle m'a reconnue. Moi, en tout cas, quand je me suis retournée, ça m'a fait un choc. Mais comme elle me demandait vraiment quelque chose, c'est bien, parce que j'ai pu taper la causette avec elle sans me soucier des autres clients qui attendaient. Elle a promis en partant de revenir m'acheter un livre de contes. J'espère qu'elle le fera ! Et puis, Fraise, mais qui n'a pas dû me voir, ou en tout cas n'a pas manifesté qu'elle me reconnaissait. Exprès ou pas, on ne peut pas dire, avec Fraise. Surtout quand elle n'a pas ses lunettes, et elle les a rarement. De toute façon, de toute évidence, elle ne venait pas acheter quelque chose au rayon enfant. Bref, comme vous le voyez, finalement, je n'ai pas eu beaucoup de visites. Je vais donc faire un peu de publicité, si vous le permettez : pour tous vos achats librairie/papeterie, allez à la librairie jaune. Et pour tous vos cadeaux pour enfants divers, allez chez moi. Vous serez bien accueillis, car mes collègues sont sympa et que je le suis aussi. Aidez-moi à faire exploser le chiffre d'affaire du magasin et du rayon afin de leur donner envie de me garder à jamais, de me payer, et ainsi m'éviter les affres de la recherche d'emploi. Parce que pour l'instant, soyons honnête, j'ai plus l'impression que mes renseignements fallacieux et ma pitoyable performance de vendeuse mènent la maison à la faillite. Ce qui me désespère : un quart d'heure de flagellation pour chaque vente ratée, pour vous dire. Parce que j'aime la librairie jaune. Et outre le fait que je veuille un avis positif pour mon stage, je veux participer à sa réussite en 2012.

Pour ma part, j'aime ce que je fais. Surtout le contact avec le client, bizarrement. Je trouve ça agréable de discuter au milieu de tous ces livres, de les parcourir ensemble et d'imaginer qu'ils plairont à des enfants. J'aime bien mes collègues du rez-de-chaussée. Ce que j'aime aussi, et qui n'a pas de prix pour moi, c'est de pouvoir rentrer le soir et de ne plus avoir à y penser. Quand je quitte le magasin, je n'ai plus d'obligation. Je peux rentrer chez moi et passer ma soirée pépère à regarder la télé... Les profs travaillent sans doute moins pendant la journée mais combien de soirées entièrement consacrées à la préparation de cours, d'activités, de sorties ? Moi, je travaille 35 heures, point. Au moins quand je rentre, je me vide la tête.

Mais si le travail me plaît, c'est définitif, je n'aime pas travailler. Tout travail est un esclavage -même celui qui est payé, contrairement au mien. Depuis que je travaille, je dois me lever le matin à heure fixe, manger à une heure contrainte, je suis fatiguée et j'ai faim. Je n'arrive plus à faire le ménage, les courses, l'administratif, la cuisine, la lessive, la vaisselle. Déjà, quand je rentre, je suis trop crevée. Et puis à 19h et le dimanche, les magasins sont tous fermés. Je crois vraiment que c'est une erreur de considérer le travail des femmes comme une libération. Parce que voilà, bon, admettons, là, je n'ai pas d'enfant. Je peux donc essayer de m'occuper de tout ce que j'ai à faire (et la liste est longue, je vous assure !) pendant mon jour de congé. Mais comment je ferai quand j'aurai des enfants ? Le travail des femmes, c'est la double peine. Continue de t'occuper des enfants puisque tu veux les voir grandir, continue de t'occuper du ménage puisque la saleté te dérange et travaille à temps plein pour ne pas être considérée comme un poids mort par la société. J'aime ce que je fais, mais je suis désolée de ne pas réussir à vivre à côté. Dans nos sociétés occidentales, nous sommes drogués au travail. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne chose pour notre équilibre personnel. Moi, en tout cas, j'ai toujours eu du mal à concilier loisirs, corvées et travail. Pour l'instant, je me consacre énormément au travail et un peu aux corvées. Ce serait un progrès, je pense, de me consacrer beaucoup aux corvées et un peu aux loisirs. Dans le vestiaire, il est affiché : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n'aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. » N'empêche que pendant qu'on s'éclate comme un petit fou au travail, on ne peut pas faire autre chose, et c'est regrettable.

Voilà voilà, ça, c'était tout ce que je devais faire aujourd'hui mardi, pendant mon seul jour de congé de la semaine (et ce n'est même pas exhaustif, y'avait plus de place sur l'ardoise).

IMG_1349

Je n'ai évidemment pas pu tout faire. J'ai refilé quelques bébés à Apollon, j'ai procrastiné. Ce soir, j'ai fait du tricot. Pendant au moins trois heures et demi (soit le temps total de ma formation). J'ai mal aux mains.

Et niveau petites news : on va déménager. Notre couloir a été inondé après une averse, notre baignoire est encore bouchée et le proprio ne veut pas payer. Alors zut, quoi. J'espère un bel appart, neuf ou refait à neuf, lumineux, un trois pièces, avec une place pour le bébé :) Voilà voilà, je crois que c'était à peu près tout.

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Commentaires
A
Merci, Claire ! Pour l'appart, faut compter un préavis de trois mois pour partir, donc on ne cherchera pas, je pense, avant fin février... mais je regarde déjà les annonces :)<br /> <br /> <br /> <br /> Crevette : Hier, ma collègue du livre numérique (oui le Mal est aussi entré dans la librairie jaune) m'a demandé de lui expliquer le classement du rayon. Elle s'est contentée de "c'est classé du plus jeune au plus âgé, avec une séparation albums, documentaires, romans" et n'a pas désiré en entendre plus. Elle le regrettera je crois quand il lui faudra trouver un livre spécial dans la jungle de mes étagères ! Pour le premier étage, je dois avouer que je ne sais pas du tout comment c'est classé ! Quand quelqu'un me demande un ouvrage documentaire, je l'envoie voir ça avec les gens en haut :) (c'est pourquoi j'espère ne pas y être affectée quand le type de la jeunesse reviendra : je n'y connais rien et ça ne m'intéresse pas des masses !)
L
Tout ceci est follement fascinant. (cela dit, Pan a raison, c'est n'importe quoi le classement de la librairie jaune. Dans le rayon histoire en tout cas. les ouvrages sur un même sujet sont pas tout le temps au même endroit et on tombe dessus plus par hasard que par cheminement logique. Pourquoi tant de haine?!)
C
bon, le travail a l'air intéressant, ça fait plaisir à lire :) <br /> <br /> <br /> <br /> bon courage pour la recherche d'appartement ;)
Petites calomnies entre amis
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