Samedi dernier, j'étais mandatée par la librairie
Samedi dernier, j'étais mandatée par la librairie jaune pour aller espionner le salon jeunesse organisé par la concurrence. Je n'attendais rien de ce salon, si ce n'est une petite pause dans une journée (et une semaine) qui avait été épuisante et la chance de voir en vrai des illustrateurs talentueux faire des dédicaces aux autres et pas à moi (bon ok, j'aurais très bien pu en demander, mais je bossais, moi, et t'açon, ce genre d'audace, je ne l'ai jamais sans Apollon à mes côtés). Quelle ne fut pas ma surprise de croiser dans ce salon, au coeur de Nowhereland, Celle-dont-on-ne-prononce-pas-le-nom qui habite à Anywhereland, et son ami Pan. Comme je ne pouvais pas décemment aller me prendre un chocolat sur mes heures de travail non payées, nous décidâmes d'organiser un repas de couples dès le lendemain.
Je le dis tout franchement, je pense que le repas de couples est l'avenir des relations amicales. Parce que tôt ou tard, chacun finit par trouver chaussure à son pied et par s'y attacher de façon morbide certaine. Or, je sais pour l'avoir vécue que rien n'est plus agaçant quand on est célibataire et qu'on a une copine en couple que de se coltiner le copain à chaque fête entre amies. Mais toi, quand tu es en couple, qu'est-ce que tu y peux si tu es morbidement terriblement attachée à ton copain au point qu'une soirée loin de lui vaut à peine pour toi la peine d'être vécue ? Et te voilà face à un dilemme : faut-il y aller avec lui et supporter les regards désapprobateurs des copines célibataires ou y aller seule et te sentir amputée d'un repose-tête morceau de ton coeur toute la soirée ? Les repas de couples résolvent le problème. Les repas de couples te permettent d'arborer ton copain sans culpabilité, parce que les autres en face font pareil. Et tout le monde est content : les hommes parlent ciné et les femmes coiffure, personne ne se sent exclu. Bon, je trouve que c'est important d'avoir une complicité exclusivement féminine, des potins et des confidences loin des hommes mais quand c'est une grosse soirée ou un repas comme ça, je trouve dommage de se priver de notre moitié.
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Aujourd'hui, j'ai eu un entretien dans la grande surface culturelle que nous nommerons pudiquement la CANF. Contrairement à mon dernier entretien, je n'ai pas eu de réponse dans la foulée. J'ai rencontré la DRH et la responsable du rayon livres. Autant la DRH m'a semblé très sympathique, autant la responsable livres m'a paru être un véritable dragon, qui me mettait plutôt mal à l'aise. A me dire qu'il fallait avoir des objectifs de vente et que je n'aurai pas désormais du temps pour flaner. En fait, ce qui m'a vraiment blessée, c'est qu'elle a remis en cause le fonctionnement de mon stage à la librairie jaune. Je n'étais pas spécialement stressée : je regardais les gens dans les yeux, je souriais, je plaisantais, je m'exprimais avec une relative aisance. Ce qui me rendait mal à l'aise, c'était le décalage entre ce qu'elles me disaient et ce que moi je disais.
En sortant, je m'en suis voulu d'avoir dit que je pensais au client d'abord et à la vente après. Puis, je me suis demandée si en travaillant pour une telle structure, je n'étais pas un peu en train de me renier, et de renier mes formateurs, ce qui me fait le plus de mal. Plus égoïstement, car je suis décidément très égoïste, je me suis demandée si ça n'allait pas me retomber dessus à la librairie jaune. D'avoir dit que parfois, j'étais inoccupée et que je feuilletais les livres ou, plus grave ("aberrant" selon la responsable), que j'avais passé mes premières semaines à m'occuper d'un rayon sans le responsable.
Ca remet en cause dans une certaine mesure ma "vocation". Je me dis que ça se trouve, je n'ai rien compris au coeur du métier, faire du profit, et que ce coeur ne me plaît pas. Pour moi, il doit y avoir un plaisir réciproque. Du vendeur qui aime ce qu'il vend et de l'acheteur qui trouve son bonheur dans les rayons. Je sais pas, je me dis que je devrais peut-être diversifier mes demandes de stage, voir les bibliothèques et les maisons d'édition. Et en même temps, je me dis qu'évidemment que la politique de la CANF ne me plaît pas, puisque ce n'est pas, mais pas du tout le genre d'endroits où je me vois travailler à terme.
Bref, s'ils ne me rappellent pas, je ne considérerai pas que c'est une grande peine. Mais ça me replongerait dans l'incertitude concernant les mois à venir.
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Edit : les libraires ont beaucoup d'humour. Aujourd'hui, une cliente me demande si je n'ai pas le dernier livre de *candidate blonde portée sur l'extrême-droite*. Comme je ne le trouve pas (il est au premier en politique et non au rez-de-chaussée en actualité politique -la différence est subtile, vous avouerez), la demande fait un peu le tour de la librairie (au grand désespoir de la dame : "Non mais c'est juste pour jeter un oeil, je vous assure."). Finalement, mon collègue de BD vient me voir : "Mais faut pas se moquer de *candidate blonde portée sur l'extrême-droite*, son grand-père est mort en camp de concentration." "Ah ?" "Oui, il est tombé du mirador". Oui, d'accord, ça m'a fait rire (bon, à la réflexion, je la connaissais, mais ça fait toujours son petit effet). Mais je me rends compte que nous avons quand même un vrai devoir de neutralité. On me demande des choses folles, parfois, et jamais je ne me permets un rictus. Je trouve ça très positif, de respecter ce que chacun fait (communiquer avec les morts, faire des régimes ultra-protéiné ou se laisser tenter par les extrêmes). Je trouve ça beau.